Google teste depuis l'été 2024 une nouvelle interface de recherche appelée AI Mode. Des réponses générées par IA, des publicités intégrées directement dans le texte, et une promesse simple : répondre aux questions sans que l'utilisateur ait besoin de cliquer. Pour les annonceurs et les éditeurs, ce n'est pas la fin du monde. Mais c'est un changement de paradigme qui mérite d'être compris, décomposé, et anticipé. Voici ce qui se passe vraiment, et surtout : ce qu'on peut faire maintenant.
AI Mode est le nouveau mode de recherche dopé à l’intelligence artificielle de Google, conçu pour transformer la façon dont les utilisateurs interagissent avec le moteur de recherche. Basé sur les capacités avancées de raisonnement, de compréhension et de multimodalité du modèle Gemini 2.5, AI Mode permet de poser des questions complexes dans un langage naturel (en les tapant, en les dictant, en prenant une photo ou en important une image) et d’obtenir des réponses structurées, synthétiques et contextualisées.
Bien plus qu’un simple moteur de recherche, AI Mode agit comme un assistant de recherche intelligent : il organise les informations issues de centaines de sources fiables, fournit des réponses claires et approfondies, et propose des liens pertinents pour aller plus loin.
Pour les recherches nécessitant une analyse plus poussée, la fonctionnalité Deep Search, disponible dans AI Mode, va encore plus loin : elle explore et raisonne à travers un grand volume de contenus web pour produire un rapport complet, détaillé et sourcé en quelques minutes.
Toujours expérimental, AI Mode place l’intelligence artificielle au cœur de l’expérience de recherche, ouvrant la voie à une recherche plus fluide, conversationnelle et personnalisée, un changement majeur dans la façon d’accéder à l’information sur le web.
Actuellement déployé dans +40 pays, il n'est toujours pas disponible en France. Pour cause, si l’AI Mode n’est pas encore disponible en France, c’est avant tout à cause d’un conflit juridique et économique persistant entre Google et les éditeurs de presse français. Depuis 2019, la législation impose en effet à la firme américaine de rémunérer les médias lorsqu’elle utilise leurs contenus, une obligation qui lui a déjà valu une amende de 250 millions d’euros infligée par l’Autorité de la concurrence.
Or, l’arrivée d’AI Mode complexifie encore ce rapport de force : les réponses générées par l’intelligence artificielle reposent en grande partie sur des contenus issus de sites d’information… sans toujours renvoyer les internautes vers ces sources originales. Dans ce contexte, la question d’un partage équitable de la valeur entre Google et les éditeurs reste juridiquement floue.
C’est cette incertitude légale et économique qui pousse aujourd’hui Google à faire preuve de prudence et à retarder le déploiement d’AI Mode en France, en attendant que le cadre réglementaire évolue et clarifie les conditions d’utilisation des contenus de presse par l’IA.
Avec AI Mode, Google ne se contente plus d'afficher une liste de liens. Il génère une réponse synthétique, structurée, qui intègre :
Concrètement, si vous cherchez "meilleure caméra pour le vlog", vous n'obtenez plus 10 résultats à comparer. Vous obtenez un paragraphe qui dit : "Pour le vlog, privilégiez les caméras avec stabilisation intégrée et autofocus rapide. Voici trois modèles adaptés..." suivi d'un module Shopping sponsorisé.
C'est une expérience plus fluide pour l'utilisateur. Mais elle pose une question évidente : si la réponse est donnée, pourquoi cliquer ?
Les annonces ne sont plus des "résultats sponsorisés" isolés en haut de page. Elles sont intégrées au sein même de la réponse générée par l'IA.
Google a confirmé lors du Google Marketing Live 2025 que ces publicités proviennent des campagnes Search, Shopping et Performance Max existantes, sans configuration spécifique de la part des annonceurs. L'algorithme décide en temps réel si une annonce "enrichit" la réponse, en fonction du contexte de la requête et du comportement utilisateur.
Résultat : vous payez pour apparaître dans des réponses que vous ne contrôlez pas, à des moments que vous ne choisissez pas, avec un contexte que vous ne maîtrisez pas.
C'est la logique Performance Max poussée à son extrême : l'annonceur finance, l'algorithme décide.
Plusieurs études (notamment celle de SparkToro fin 2024) montrent que plus de 60% des recherches Google se terminent désormais sans clic sortant. L'utilisateur trouve sa réponse directement dans l'interface, via les Featured Snippets, les Knowledge Panels, ou maintenant les AI Overviews.
AI Mode amplifie cette tendance. Les premiers retours terrain (forums PPC, études d'agences comme Tinuiti) montrent que les utilisateurs passent plus de temps sur Google, mais cliquent moins vers les sites externes.
Pour les annonceurs, cela se traduit par :
Google ne "tue" pas le web. Il adapte son modèle à une réalité : les utilisateurs veulent des réponses, pas des liens.
Cette transformation n'est pas nouvelle. Elle a commencé avec les Featured Snippets en 2014, s'est accélérée avec Google Shopping intégré en 2020, et se poursuit aujourd'hui avec AI Mode.
La différence, c'est que cette fois, Google ne se contente pas de reformater les résultats. Il les réécrit, les contextualise, et les monétise dans un environnement fermé qu'il contrôle de bout en bout.
Ce n'est pas un complot. C'est une stratégie défensive face à ChatGPT, Perplexity, et tous les moteurs conversationnels qui grignotent progressivement des parts de marché sur les requêtes complexes.
Le business model de Google repose historiquement sur une équation simple : intention → clic → conversion → revenu publicitaire.
Mais si l'intention est satisfaite sans clic, cette chaîne se brise.
Google cherche donc à reconstruire la valeur ailleurs : dans le temps d'attention passé sur sa plateforme, dans la profondeur d'engagement avec la réponse, et dans la capacité à monétiser la présence dans le texte lui-même (et plus seulement le clic).
C'est un pari risqué. Car pour que ça fonctionne, il faut que les annonceurs acceptent de payer pour une visibilité dont ils ne peuvent plus mesurer l'impact direct.
Et pour l'instant, la confiance n'y est pas.
Le vrai changement, ce n'est pas la technologie. C'est la perte de contrôle.
Avant, vous choisissiez vos mots-clés, vos enchères, vos annonces. Vous saviez où vous apparaissiez, pourquoi, et à quel prix.
Avec AI Mode et Performance Max, Google décide à votre place. Il optimise pour "la performance globale", selon des critères opaques, dans des contextes que vous ne voyez jamais.
En théorie, ça devrait améliorer les résultats. En pratique, ça rend l'attribution impossible, le pilotage aléatoire, et les audits inutiles.
Vous devenez un bailleur de fonds d'un système black box.
Certains y voient une évolution logique (moins de micro-management, plus d'automatisation). D'autres y voient une dérive inquiétante (dépendance totale, opacité maximale).
Les deux ont raison.
Plutôt que de pleurer sur le "bon vieux temps du Search", autant s'adapter.
Si Google ne donne plus de visibilité claire sur l'attribution, il faut reconstruire sa propre chaîne de mesure.
Concrètement :
L'objectif : ne plus dépendre uniquement des rapports Google Ads pour prouver votre ROI. Avoir votre propre version de la vérité.
Exemple de setup minimal :
Coût : quelques jours de setup, ~100-300€/mois d'infra. Impact : reprise de contrôle totale sur votre attribution.
Si Google génère des réponses à partir de contenus existants, alors il faut devenir une source fiable pour ses modèles.
Concrètement :
L'idée : devenir une "source de vérité" pour les IA, pas juste un site parmi d'autres.
Exemple :
Une marque de chaussures de trail peut créer une page "Comment choisir ses chaussures de trail selon son niveau" avec :
Résultat : cette page devient citable par l'IA, et vos produits peuvent être suggérés dans les réponses.
Google ne doit plus être votre seul levier. C'est une évidence, mais peu l'appliquent vraiment.
Concrètement :
L'objectif : réduire la part de Google dans votre mix d'acquisition de 70% à 40-50% d'ici 12 mois.
Framework simple pour prioriser :
Les IA sont excellentes pour synthétiser des infos publiques. Elles sont nulles pour raconter des histoires uniques, des expériences terrain, ou des analyses propriétaires.
Concrètement :
L'idée : redevenir irremplaçable par la profondeur, pas par le volume.
Exemple :
Au lieu d'écrire "10 conseils pour améliorer votre SEO", écrivez "Comment on a triplé notre trafic organique en 6 mois : analyse complète avec screenshots, décisions, et erreurs à éviter".
Le second est unique. Le premier sera écrasé par l'IA.
AI Mode n'en est qu'à ses débuts. Voici les signaux faibles à suivre pour anticiper la suite.
Pour l'instant, AI Mode est testé principalement en anglais, sur mobile, aux États-Unis. Mais Google a confirmé son intention de l'étendre à d'autres marchés anglophones d'ici fin 2025, puis progressivement à d'autres langues.
Ce qu'il faut surveiller :
Google expérimente des formats natifs dans les réponses IA : produits suggérés, services recommandés, liens contextuels. Ces formats pourraient devenir majoritaires d'ici 2026.
Ce qu'il faut tester maintenant :
L'Union Européenne et les autorités de la concurrence surveillent de près l'intégration de Google dans ses propres réponses. Si Google cite ses propres services (YouTube, Maps, Shopping) systématiquement dans AI Mode, cela pourrait déclencher des enquêtes.
Impact potentiel :
ChatGPT, Perplexity, You.com, et d'autres proposent déjà des expériences conversationnelles. Si leur part de marché dépasse 5-10% sur certaines requêtes, cela redistribuera les cartes.
Ce qu'il faut faire :
AI Mode n'est ni une révolution, ni un scandale. C'est une évolution logique d'un moteur de recherche qui cherche à rester pertinent dans un monde où les utilisateurs attendent des réponses, pas des liens.
Pour les annonceurs, le vrai risque n'est pas que Google change. C'est de continuer à faire comme avant en espérant que ça passe.
Les stratégies gagnantes des 12 prochains mois seront celles qui acceptent trois réalités :
Ce n'est pas la fin du marketing digital. C'est juste la fin du marketing digital facile.